L’espace saharien souffre d’un manque probant de contrôle. L’Etat ne parvient pas à intégrer ses marges désertiques au reste du territoire national, lui-même écartelé par des logiques centrifuges. Un déséquilibre flagrant s’est instauré entre les rives méridionales et septentrionales, lié aux ressources pétrolières qui permettent des politiques volontaristes d’aménagement du territoire. Pourtant, la rente pétrolière et les politiques d’aménagement induites s’avèrent également insuffisantes : le terrorisme du GSPC algérien trouve refuge dans les confins désertiques. L’intégration régionale ne suffit donc pas à enrayer le processus de contournement de l’Etat, voire du rejet de l’Etat. Or, si ce dernier ne contrôle pas ses franges sahariennes, ce sont les réseaux transfrontaliers déjà en place qui s’en chargeront et qui s’en chargent déjà. Au risque évident de « désétatisation », se rajoute aujourd’hui le péril justifié d’une instrumentalisation des réseaux au profit de celui qui voudra les contrôler. La menace islamiste liée à Al Quaida, amplifiée pour des motifs géopolitiques régionaux et internationaux, n’est cependant pas loin et pourrait se concrétiser, tant dans l’espace territorial que religieux et politique.
L’arrivée de la puissance militaire américaine semblait prometteuse en termes de sécurisation des menaces conflictuelles autant qu’en espoir de renforcement de l’autorité de l’Etat sur des pourtours sableux non contrôlés. Force est d’admettre un double constat pessimiste. D’une part, la présence américaine s’est avérée incapable de juguler la menace terroriste : l’activisme du GSPC et de ses ramifications régionales n’a cessé de s’amplifier depuis la mise en place des premières initiatives de partenariat en 2002. D’autre part, elle n’a pas su non plus prévenir une amplification de la conflictualité saharo-sahélienne : le Nord-Mali et le Nord-Niger sont à nouveau menacés par une résurgence de la rébellion touarègue, la crise du Darfour et ses implications régionales n’ont su être ni décelées, ni empêchées. Par ailleurs, la remilitarisation d’une zone conflictuelle par construction ne semble pas de bon augure. La sécurisation, comme seul axe d’approche vers les Etats saharo-sahéliens, appellera la confrontation et donc la conflictualité. L’échec américain en Irak, outre les risques réels de fomenter un anti-occidentalisme dans les confins sahariens, peut également se solder par une exploitation locale de troupes fanatisées qui voudraient à leur tour tenir en échec la plus grande armée du monde. Les troupes françaises avaient connu, à leur retour d’Indochine, le même syndrome sur le sol algérien. C’est sa connaissance, entre autre, des us et coutumes locaux, héritée d’un siècle de présence, qui lui permit de gagner militairement la guerre d’Algérie. Or, la culture américaine, tout comme son histoire, ne sont pas la culture française…
Le contrôle des espaces sahariens est donc plus que jamais une nécessité géostratégique. Zone transit entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord, le Sahara ne reflète pas l’image d’un désert hermétique. Loin de se dresser comme une frontière imperméable, le Sahara se caractérise dorénavant par sa perméabilité, par la jonction de ses rives maghrébines et sahéliennes. De fait, le Sahara est devenu le nouveau limes du Sud de l’Europe. Habitués jusqu’à maintenant à considérer les pays maghrébins comme leurs voisins immédiats et protégés par la frontière naturelle méditerranéenne, les Européens prennent dorénavant conscience que l’Afrique Noire est à leur porte, notamment à travers les flux migratoires. La protection de l’espace de Schengen et le dialogue UE-Méditerranée, qui consistent à déléguer au Maghreb l’hermétisme de ses frontières, soulignent désormais la valeur stratégique du Sahara et de sa sécurité. Car si les flux migratoires correspondent à des logiques maîtrisables, les flux islamistes correspondent à des logiques difficilement maîtrisables et par essence irrationnels. Plus que jamais, l’Europe doit donc se doter d’une vraie stratégie envers une Afrique saharienne qui s’est rapprochée d’elle. Plus que jamais, la France , dans ce contexte, doit assumer son passé colonial et utiliser son expertise africaine, tant diplomatique que militaire, pour exercer un rôle moteur.
Le Sahara : territoire des réseaux ? |