La Communauté euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok .
Le projet américain consistait à bâtir ce que Jim Baker appelait en 1991 « une Communauté Euro-Atlantique, de Vancouver à Vladivostok ». Il s’agissait de faire de l’alliance militaire entre l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest une vraie communauté politique et économique , de l’étendre en direction de l’est et enfin d’associer la Russie à cet ensemble, sans oublier les autres Etats ayant autrefois fait partie de l’Union soviétique.
Ce projet « euro-atlantique » fournissait la clé de l’attitude des Etats-Unis vis- à- vis de l’intégration européenne. Favorable à l’origine à l’œuvre de Monnet et de Schuman parce qu’elle contribuait au « containment » de l’URSS, l’Amérique , tout en continuant à affirmer cette approbation de principe, n’a pas vraiment accepté toutes les conséquences commerciales et politiques de l’intégration européenne. Après la chute du mur , il devint clair que les Etats-Unis seraient favorables à la poursuite du processus européen seulement dans la mesure où les Européens seraient d’accord pour que leur Union se range dans ce vaste ensemble mondial dont le leader était tout désigné.
Que signifie en pratique pour les Etats-Unis l’appartenance de l’Union européenne à l’ensemble euro-atlantique ? Le concept est quelque peu paternaliste . Les Etats-Unis veulent de nouvelles formes de coopération et de consultation entre l’Union et les Etats-Unis. Ils entendent prodiguer leurs conseils sur les sujets délibérés par les membres de l’Union, y compris ceux qui relèvent de la seule compétence des Européens (par exemple lorsqu’ils « pressent » l’Europe d’accueillir la Turquie dans l’Union). Les Etats-Unis désirent participer indirectement , mais de très près , à la définition de ce qu’on appelle la « politique extérieure et de sécurité commune ».Ils demandent que la constitution d’une défense européenne autonome laisse intacte la prééminence de l’OTAN.Ils tiennent en particulier à ce qu’elle ne concerne que les opérations extérieures de maintien de la paix ou d’intervention humanitaire, ou plus précisément celles auxquelles eux-mêmes souhaiteraient ne pas participer ,et à ce que tout se déroule selon des systèmes de commandement garantissant le contrôle des autorités militaires de l’Alliance Atlantique sur l’activité « autonome »des Européens.
Au stade actuel, cette vision américaine de l’insertion de l’Union Européenne dans l’ensemble atlantique s’est fort bien traduite dans la réalité. Là où l’Union européenne se défend avec le plus d’opiniâtreté, c’est le contentieux commercial, domaine, il est vrai capital, où elle est représentée par la Commission. Pour le reste, les américaines ne peuvent que juger que l’Europe est « sous contrôle ». Elle est entravée par ses propres divisions. Les pays maîtres de l’Union élaborent des propositions communes quand ils sont entre eux , mais dès qu’ils sont en présence des Etats-Unis, que ce soit à l’OTAN, à l’OCDE ou au G-8, ils manquent presque tous du courage nécessaire pour les défendre. L’Europe va à l’élargissement sans avoir renforcé ses institutions. On a même ouvert à la Turquie comme le souhaitaient les Etats-Unis. Il se peut qu’une défense européenne prenne corps peu à peu, compte tenu d’expériences comme celle du Kosovo, où les Européens ont touché du doigt la disproportion de leurs moyens au regard de leurs prétentions, et ont éprouvé la rigueur de la férule américaine dans l’OTAN . Mais ce qui se fait à cet égard est lent, souvent velléitaire et très confus.
D’autre part, l’évolution de l’Europe centrale a largement confirmé la conviction des Américaines que c’était vers eux que les pays de cette région regardaient d’abord . Les Etats-Unis ont poussé leur avantage en s’appuyant sur le besoin de sécurité de ses pays. En mettant en marche en 1997 le processus d’élargissement de l’OTAN, ils ont assuré que l’Europe nouvelle avait toutes chances de se construire selon le schéma qu’ils avaient élaboré il y a dix ans, plutôt que sur le concept française, lequel , à vrai dire, n’a jamais pu se présenter comme un projet précis , réaliste et attrayant puisqu’il butait sur des contradictions difficiles à surmonter entre l’idée d’une Europe puissante et donc cohésive et l’aspiration des pays d’Europe Orientale à un élargissement rapide d’Union. L’influence américaine à l’Est de l’Europe s’est nourrie des déceptions ressenties à cet égard.
Quand de Gaulle dans les années 1960 pensait à l’avenir à long terme de l’Europe , il voyait l’influence soviétique sur l’Ouest se retirer symétriquement , comme une marée qui baisse, découvrant une « Europe européenne » . Il était facile dès cette époque de voir ce qu’avait d’erroné l’équivalence qu’il établissait entre ce qu’il appelait « les deux hégémonies ». Au moment de l’écroulement soviétique , non seulement l’influence américaine n’a pas quitté l’Europe de l’Ouest , mais elle à triomphé à l’Est à un tel point que les Etats-Unis n’auront pas de meilleurs auxiliaires , dans leur politique tendant à diluer les Européens dans l’ensemble atlantique , que les Etats-Unis de cette zone.
La seule question sur laquelle la politique américaine a achoppé est celle de l’association de la Russie à l’ensemble « euro-atlantique ». Les Russes n’en demandaient pas tant. Ils voulaient être reconnus comme un acteur à part entière, ce qui a été fait en principe par leur intégration progressive dans le groupe des principaux pays industrialisés.
Il y a une bonne part de feux – semblant dans cette admission. Une coopération plus authentique a été rendue malaisée par les difficultés de la transition en Russie et par les frustrations formidables engendrées chez les Russes par leur spectaculaire recul des années 1989à 1991. Les américaines n’ont certes pas facilités les choses en piétinant comme ils l’ont fait les plates – bandes de la Russie au Caucase et en Asie Centrale, où elle estime avoir des intérêts particuliers. D’autre part, lorsqu’ils se sont lancés dans l’élargissement de l’OTAN à la Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque – en le présentent, circonstance aggravante, comme une première étape – ils ont rendu difficile d’atteindre une relation coopérative avec la Russie.
De sorte que le fameux ensemble de Jim Baker , à l’heure actuelle, comprend bien Riga et Kiev , et va même , d’une certaine façon , jusqu’à Bakou et Tachkent, mais n’englobe pas vraiment la Russie, malgré le haut degré de dialogue entre les deux Grands d’hier.
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